PREDESTINATION

 

Réalisateur(s) : Michael Spierig & Peter Spierig
Producteur(s) : Paddy McDonald, Tim McGahan, Peter Spierig, Michael Spierig
Scénariste(s) : Michael Spierig & Peter Spierig
Photographie : Ben Nott
Montage : Matt Villa
Musique : Peter Spierig
Interprète(s) : Ethan Hawke, Noah Taylor, Sarah Snook
Pays : Australie
Année : 2013
Durée : 1h37

L’avis du FEFFS :

Predestination retrace la vie d’un agent temporel spécialisé dans la lutte contre la criminalité, envoyé dans une série complexe d’expéditions spatiotemporelles afin d’assurer à tout jamais la continuité de sa carrière. Pour son ultime mission, l’agent doit s’attaquer au seul criminel qui lui a toujours échappé.
Adapté de la nouvelle « All You Zombies », de Robert Heinlein, Predestination nous fait voyager dans le temps de 1945 à 1993. Ce thriller rétro-futuriste époustouflant fait la part belle aux personnages, tout en atteignant un bel équilibre entre des scènes d’action explosives et des séquences plus intimistes. Le jeu émouvant, tout en nuances, d’Ethan Hawke et de Sarah Snook donne du relief à bon nombre des questions philosophiques fondamentales posées par le film, notamment la question des limites et de la flexibilité de l’identité humaine.
 

Mon Humble Avis :

Cette histoire de voyages temporels est si complexe qu’elle ferait passer « Retour vers le futur 2 » pour un enfantillage !
Mais, c’est normal, elle est tirée de la nouvelle « Vous les zombies » de Robert Heinlein (dont le « Etoiles garde à vous ! » avait déjà donné « Starship troopers »).
Vous les zombies (titre original : All You Zombies) est parue en mars 1959 dans la revue Fantasy & Science Fiction.
Elle est souvent considérée comme « la nouvelle ultime de voyage dans le temps », du fait de plusieurs boucles temporelles imbriquées…
Une précédente nouvelle d'Heinlein, publiée en 1941, préfigurait cette nouvelle : « Un self made man ».

Le message du film traite des déceptions de la vie, et des espoirs vains de seconde chance.
Il est aussi formulé clairement qu’il est plus facile de haïr que d’aimer…
La prédestination c’est le fait que notre destin est déjà tracé, écrit, et que notre libre-arbitre et nos choix n’y peuvent rien changer, même avec la possibilité du retour dans le temps !
C’est une notion assez tragique, une vision de la vie où nous ne serions que des marionnettes d’une conscience supérieure…
Il s’agit bel et bien de théologie ici, car la prédestination a fait débat entre différents courants de pensée philosophiques depuis toujours.
La prédestination est donc un concept théologique selon lequel Dieu, aurait choisi de toute éternité, et secrètement, ceux qui seront graciés et auront droit à la vie éternelle.
L'idée de prédestination est étroitement associée aux débats philosophiques concernant le déterminisme et le nécessitarisme.
La prédestination, et les rapports entre la grâce et le libre arbitre, ont été au cœur des débats entre le pélagianisme et l'augustinisme, controverse qui a repris lors de l'opposition entre les jansénistes et les jésuites (qui soutenaient le molinisme).
Ce concept a aussi été repris, au moment de la controverse janséniste, par le protestantisme.
On parle de « double prédestination » dans les doctrines, calviniste notamment, qui ajoutent que Dieu aurait choisi de toute éternité également ceux qui seront damnés…
La religiosité américaine, justement organisée autour d’un protestantisme dominant, est indispensable à la compréhension de la société américaine, où la spiritualité tient une place particulièrement importante.
En dépit d'une stricte séparation des Églises et de l'État, la religion est si présente dans l'espace public qu'on parle de « religion civile ».
Il est par exemple fréquent de trouver une Bible dans les chambres d'hôtel, le plus souvent la King James Bible, et le président américain invoque fréquemment Dieu dans ses discours…
Dans un tel contexte, on ne doit pas s’étonner de voir des films véhiculant ce genre de message, qu’on trouvera sûrement réactionnaire de par nos contrées !

La réalisation de ce film au budget confortable (ce n’est pas un bockbuster non plus) est classe, académique et feutrée.

On y trouve une excellente variation de cadrages, classiques, sur pieds.
On notera un plan vraiment stylé, filmé au travers de la paroi transparente du berceau de la maternité, et de la vitre murale, sur la réaction de la mère se rendant compte de la disparition de son enfant, un plan signifiant, d’une grande inspiration.

La photographie utilise des tons bleus et oranges dorés, lors des scènes les plus modernes, plus bruns dans les années 70, plus sépia dans les années 40, avec toujours de belles ombres sur les visages.

Le montage est classique, mais efficace et très professionnel, on y trouve aucun effet de style juste pour la frime.

Les décors créent un univers de rétro-futur kitsch, dans un look années 60 (pour une version féminine de la « Stratégie Ender »).
On voit aussi qu’on a affaire à une bonne production lors des reconstitutions historiques ambitieuses du New York des années 70.
L’affrontement dans un décor industriel éclairé de contrastes bleu/or a aussi un côté steampunk.

Les costumes sont donc très variés, entre les modes des années 40 à 70, le tout avec sobriété et élégance.

Les effets spéciaux utilisent autant de maquillages que d’images de synthèse.
L’infographie est employée pour brûler un visage, ou représenter des vortex spatiaux, tandis que ce sont de simples effets de plateaux qui figurent les sauts temporels (sortie de l’acteur du cadre et coup de vent au canon à air comprimé).
Les maquillages à l’ancienne sont les SFX les plus impressionnants du film, d’emblée il y a une reconstruction faciale très « Frankenstein », puis le changement de sexe de l’actrice principale, et son vieillissement, du grand art.

Le casting est talentueux, les personnages sont mystérieux, l’actrice principale, Sarah Snook, est impeccable et émouvante, quand à Ethan Hawke, il ferait un Valérian parfait (l’agent spatio-temporel des BD de Christin et Mezières).

La musique symphonique est riche et prenante, elle sait jouer des violons lorsque c’est nécessaire.

En conclusion, il est très rare de voir une histoire de voyage temporel qui se tienne, sans erreur de logique, or ici c’est le cas : avec le choix de la prédestination, tout retombe sur ses pattes, tout se tient avec une implacable logique !
Bien sûr, on a droit à de nombreux « paradoxes de l’écrivain »…
Le paradoxe de l'écrivain, justement appelé aussi paradoxe de la prédestination, est un paradoxe temporel qui décrit la situation suivante : un écrivain s'expédie à lui-même, dans le passé, en utilisant une machine à remonter le temps, un exemplaire imprimé du livre qui l'a rendu célèbre.
Dans le passé, il écrit son manuscrit en recopiant simplement l'exemplaire reçu.
Le livre n'a donc jamais été écrit, juste recopié.
Il apparaît ex nihilo.
Le paradoxe de l'écrivain met à mal le principe de causalité : un phénomène devient en effet sa propre cause.
On appelle aussi cette situation « boucle de causalité »…
Après avoir décrit ce film pessimiste quand à notre libre-arbitre individuel, je terminerai cet article justement par une célèbre citation de Robert Heinlein :
« Ne devenez jamais pessimiste.
Un pessimiste a plus souvent raison qu'un optimiste, mais l'optimiste s'amuse plus — et aucun des deux ne peut arrêter la marche du monde. »