Mad Fate

 

Hong Kong — 2023 — 1h48

Réalisation : Soi Cheang
Acteurs : Lam Ka Tung, Yeung Lokman, Ng Berg

 

Mad Fate raconte la rencontre explosive entre un maître de feng shui raté, un inspecteur zélé, un psychopathe retors et un jeune livreur assoiffé de sang.
Cette nouvelle bombe, signée Soi Cheang (Limbo, Dog Bite Dog) et produite par Johnnie To (Election), compile le meilleur du cinéma hongkongais en passant du polar noir au film de possession de type Cat. III.

 

Mon Humble Avis :

 

Hong Kong subit de grandes transformations ces dernières années, des quartiers entiers sont rasés pour être transformés en casinos et autres supermarchés !

Il n’y a plus que 30 films par an de produits sur place (au lieu de 300 dans les 90’s), et ils sont tous soumis à une sévère censure chinoise.

Il y a une petite poche de résistance, comme le réalisateur Herman Yau par exemple.

Johnny To doit faire profil bas depuis Election 1 & 2, ayant déplu au gouvernement chinois, il se contente de produire depuis un bon moment.

Ici, il finance Soi Cheang pour réaliser un film à l’ancienne (en juste un peu moins fou que dans les 80’s).

Selon le présentateur Bastien Mairesonne, le scénario ne fut plus respecté dès le premier jour de tournage…

 

Le message pose la question suivante : peut-on changer son destin ?

L’astrologue pense que c’est possible, il prédit d’abord ce dernier avec les arts divinatoires traditionnels, comme le Yi King (le livre taoïste des transformations), puis use du Feng Shui pour tenter de corriger l’avenir…

Il est prêt pour cela à combattre les plans de dieu !

Est-on un tueur prédestiné, ou peut-on faire d’un psychopathe potentiel un bon citoyen compatissant ?

Le film nous rappelle aussi que même les pires tueurs ont des parents.

Une phrase tirée des dialogues semble résumer une bonne partie de la portée de cette œuvre : « une fleur doit faner avant que naisse le fruit »…

 

La réalisation de Soi Cheang est enflammée et lyrique à souhait.

Il fait la synthèse des films de catégorie 3 et des polars hard boiled cultes de HK, avec une touche de folie à la Tsui Hark, qui donne à l’ensemble une profondeur et un second degré intrinsèquement liés.

 

Les cadrages utilisent des reflets et des recadrages ce qui est en lien direct avec les principes du feng shui.

Il y a beaucoup de variations de valeurs de cadre.

Ce sont des choix signifiants, renforçant le fond par la forme.

 

La photographie est naturaliste de jour, les plans nocturnes ont une lumière douce, détourant bien les formes, et des ombres bien noires, avec des touches de couleurs caractéristiques du style HK (vert, rouge ou rose, en néons).

 

Le montage est hyper énergique, il y a vraiment un art du changement brusque, que ce soit de lieu, de cadre, de ton, etc… pour renforcer le basculement dans la folie du personnage principal.

 

Les décors montrent surtout les bas-fonds, les toits et les ruelles de la ville, 3 scènes se déroulent dans le cimetière à flanc de colline.

 

Les costumes finissent souvent en loques.

Le masque anti-covid est devenu un accessoire (déguisement du tueur, cache cicatrice de la sœur)…

 

Les SFX numériques animent des éléments difficiles à contrôler sur un tournage, comme les éclairs de la tempête, ou les animaux (chat, oiseaux)…

 

Le casting est le point fort du métrage (avec son scénario original et farfelu évidemment), les personnages sont presque tous WTF : le devin dément, le jeune attiré par la violence, le serial killer médecin, et même le flic intraitable et moustachu ressemblant à Mr Vampire !

Yeung Lokman, quant à lui, ressemble à Sam Lee jeune, avec ses oreilles décollés et ses cheveux longs de métalleux, quand il tournait pour Soi Cheang (« Dog bite dog » par exemple).

 

La musique est nostalgique et sombre, le motif sonore de la pluie y est parfois inséré.

Elle use de piano et de cordes.

On dirait de la musique sérielle, avec plusieurs couches mélodiques superposées.

On entend même une version flamenco de la cinquième symphonie de Beethoven, et l’air sifflé du « pont de la rivière Kwaï » !

 

En conclusion, ce film barré est intriguant, émouvant, drôle, et ne débande pas une seconde !

Il fait penser autant au « Jour de la bête » d’Alex de la Iglesia, avec ses anti-héros obsédés par des croyances qu’ils sont seuls à suivre, qu’à la « Ligne rouge » de Terence Malick, avec ses archi-gros plans sur des fourmis pour faire des métaphores sur la destinée humaine…

Pas mal pour une série B, non ?