The Missing
(Iti Mapukpukaw)
L’Avis du FEFFS :
Eric est un jeune homme tout à fait ordinaire, si ce n’est… qu’il n’a pas de bouche.
Un jour, il reçoit un appel de sa mère lui demandant d’aller voir son frère, qui ne donne plus de nouvelles.
À son arrivée chez son oncle, Eric est enlevé par un extraterrestre.
Et ce n’est pas la première fois que cela arrive…
The Missing est une œuvre aussi magnifique que touchante.
Probablement le plus beau film en rotoscopie de tous les temps, il utilise l’animation et le fantastique pour raconter un épisode de la vie personnelle du réalisateur, tout en abordant des sujets profondément tabous dans la société philippine, comme l’homosexualité.
Un film coup de cœur.
Philippines – 2024 – 1h31 – VOST – rotoscopie, stop motion – Tous publics, avec Avertissement
Réalisation : Carl Joseph E. Papa
Producteur : Geo Lomuntad
Scénariste : Carl Joseph E. Papa
Voix : Carlo Aquino, Dolly de Leon, Gio Gahol
Mon Humble Avis :
La famille d'un homme qui n'a pas de bouche lui demande de vérifier si son oncle a disparu.
Après avoir découvert que ce dernier est mort, il rencontre un extraterrestre qui l'aide à démêler ses souvenirs et ses sentiments…
Le genre est aussi un moyen d’expression, avec ici le fantastique pour parler du trauma queer, à l’image de Mysterious Skin de Gregg Araki dont on ressent ici l’ombre subversive.
Les sélectionneurs du FEFFS ont vu le film au festival d’Annecy, la Philippine n’étant pas une spécialiste en animation, ils n’en attendaient pas grand-chose, mais ça a été une belle surprise, et finalement c’est leur coup de cœur de l’année.
Le message aborde donc un traumatisme d’enfance refoulé, et la façon dont l’amour et la compréhension peuvent aider à retrouver une façon de l’exprimer (la perte de la bouche, de la voix en est la métaphore).
Sept millions de philippins ont été victime de sévices sexuels étant enfants, la plupart du temps par un membre de leur famille !
Malgré cette statistique ahurissante le sujet reste tabou, et aucun média n’en parle, ce qui aggrave la situation (difficulté supplémentaire pour les victimes de déclarer leur trauma).
L’homosexualité est taboue elle aussi, et the Missing aborde les deux questions de front !
C’est la troisième réalisation de Carl Joseph E. Papa, les deux films précédents étaient des dessins animés eux aussi.
Même si le budget n’est que de 10 000 euros (de qui est ridicule en cinéma), il y a eu des difficultés de financement, qui ont nécessité l’emploi de bénévoles pour terminer le métrage.
Pour illustrer les flashbacks, le réalisateur utilise un dessin animé dans un dessin animé… une idée bizarre, amenant à faire un animé plus rough, ressemblant à des dessins d’enfants à 3 images par secondes au lieu de 24…
On comprend l’idée, puisque ce sont des souvenirs d’enfant, dans un univers de SF enfantin, mais le résultat est tout de même moche.
Sur quelques minutes pourquoi pas, mais sur un tiers du métrage, ça devient chiant.
Les cadrages sont variés, puisque le film a d’abord été tourné en images réelles.
La photographie fait dominer les images sombres, mais avec des lumières douces.
Le montage est tranquille, bien qu’on ne s’ennuie pas, du moins au début...
L’histoire prend son temps, c’est assez long à évoluer, et comme on devine de quoi il s’agit assez vite, on voit même venir le plan final une demi-heure à l’avance, donc le film finit malheureusement par perdre l’intérêt du spectateur.
Les décors sont modernes, et urbains : un appartement, un bureau d’infographistes, des rues…
Ils sont très détaillés, mais n’ont pas le même traitement graphique que les éléments animés au premier plan.
Il y a parfois des zones de vide, un quadrillage blanc/gris, comme lorsque dans photoshop on rend le fond transparent !
Ce jeu avec le média est intéressant, Osamu Tezuka aurait sûrement fait de même si il avait eu accès à de tels outils.
C’est audacieux et signifiant, néanmoins une fois encore ce n’est pas très beau.
Rien à signaler concernant les costumes, à part le design d’un alien à tentacules, qui ressemble à un sexe masculin.
L’animation est réalisée par rotoscopie, le film a donc d’abord été tourné en prises de vue réelles avec des comédiennes et comédiens avant que tout soit redessiné en profitant de ce réalisme des mouvements et des expressions.
La rotoscopie est une technique cinématographique qui consiste à relever image par image les contours d'une figure filmée en prise de vues réelle pour en transcrire la forme et les actions dans un film d'animation.
Ce procédé permet de reproduire avec réalisme la dynamique des mouvements des sujets filmés.
Au tant de la pellicule argentique, ça représentait effectivement un travail colossal de projeter frame par frame, 24 fois par seconde, pour redessiner les contours sur des celluloïds, avant de peindre à la main au dos de chaque cellulo…
Les premiers chefs d’œuvres de Disney, le Seigneur des Anneaux & Tigra la Glace et le Feu de Ralph Bakshi, ou les Superman des frères Fleischer sont des métrages ayant vraiment utilisé ce dispositif lorsqu’il représentait un défi incroyable.
Mais aujourd’hui, avec le tournage en numérique et les logiciels infographiques, c’est beaucoup plus facile.
Les logiciels peuvent tous seuls détourer les personnages de l’arrière-plan (pour leur attribuer des effets graphiques différents par exemple), et peuvent traiter toutes les images d’un même plan d’un seul coup en leur appliquant un filtre donnant l’illusion que c’est redessinné.
Bien sûr, les infographistes ont appliqué quelques corrections çà et là, mais en aucune façon ils ne sont revenus au traitement image par image nécessaire autrefois.
Les éléments animés sont en cel-shading, tandis que les décors sont en speed painting (et encore quand ce n’est pas juste des filtres l’imitant).
Donc les descriptions qui sont faites jusque-là sur le net sont grandement exagérées, ne vous attendez pas à retrouver la beauté d’un film en rotoscopie d’antan, mais plus aux scènes cinématiques d’un jeu vidéo low-cost !
Le procédé est super pour obtenir des expressions et gestuelles subtiles des personnages, et c'est le cas ici.
Les émotions ont dû mal à s’exprimer oralement, donc les nuances d'attitude sont essentielles, et la rotoscopie permet aussi de retranscrire la confusion entre réel et imaginaire dans l’esprit du héros.
La musique est peu présente, elle intervient surtout dans les moments liés à l’OVNI pour insister sur le suspens ou l’action d’une poursuite, mais n’est pas vraiment mémorable.
En conclusion, à partir d’une technique qui peut avoir aussi une certaine froideur, Carl Joseph Papa signe un film chaleureux, habité par une émouvante tendresse.
Son sujet est important (en plus, on le devine autobiographique), et son traitement est original (à défaut d’être complètement maîtrisé et vraiment esthétiquement réussi), mais il faut reconnaître que nous avons là davantage un film d’auteur qu’un film de genre au sens strict.
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