ça tourne à Séoul (Cobweb)

 

Corée du Sud – 2023 – 2h15

Réalisation : Kim Jee-woon
Producteur: Choi Jae-won
Scénaristes: Kim Jee-woon, Shin Yeon-shik
Acteurs : Song Kang-ho, Park Jeong-su, Krystal Jung

 

Séoul, années 1970.

Le réalisateur Kim entreprend de retourner la fin de son dernier film pour en faire un authentique chef-d’œuvre ; mais la tâche se révèle compliquée, entre censeurs zélés, producteurs omniprésents et acteurs aux égos surdimensionnés.

Après le film d’horreur, le polar noir, le western ou encore le film d’anticipation, l’éclectique réalisateur coréen Kim Jee-woon signe une hilarante satire sur les coulisses d’un tournage ; mais Ça tourne à Séoul (Cobweb) donne également un rare aperçu de la période politique particulièrement sombre de la Corée des années 1970 et propose, in fine, une réflexion passionnante sur le cinéma et le travail de réalisation.

 

Mon Humble Avis :

 

Kim Jee-woon brosse une parodie de tournage grinçante, qui montre un envers du décor assez repoussant, mais avec beaucoup d’humour.

 

Le message tend à montrer que le cinéma ce n’est pas que du business, qu’avec de la passion ça peut être de l’art, à condition de se plier à de nombreuses compromissions avilissantes.

Le film égratigne les critiques au passage, les traitant de bons à rien inutiles et cruels.

Selon Kim Jee-woon, il suffirait de croire en soi pour avoir du talent (le « happy end » prouvant cette théorie), mais il semble confondre succès public et réel talent.

Une idée intéressante développée par le film est la description des acteurs : ils sont présentés comme des divas au comportement impossible, mais pourtant indispensables : quand la jeune productrice veut remplacer une actrice au pied levé, sa passion n’y peut rien, jouer la comédie est un métier, et son implication dévouée ne changera pas son amateurisme en une performance acceptable.

 

La réalisation de Kim Jee-woon est très professionnelle, efficace et dynamique.

 

Les cadrages usent d’avants plans flous, et de nombreux recadrages dans le cadre (avec des fenêtres par exemple) insistent sur la mise en abîme du processus filmique.

On trouve beaucoup de gros plans, et de lents mouvements de travelling élégants.

 

La photographie alterne le noir et blanc léché pour le film dans le film, et la couleur pour son tournage, de façon à bien distinguer les deux.

Pourtant en 1961 sortent les deux premiers films coréens en couleurs : « Song Ch’unhyang » de Sin Sangok est filmé en cinémascope, et « L’Histoire de Ch’unhyang » de Hong Songgi est filmé en 35 mm. 

Un film en noir et blanc tourné dans les années 70 est donc un peu anachronique, mais c’est juste une facilité pour séparer les deux univers, ça fonctionne bien, mais manque peut-être de subtilité.

 

Le montage est assez énergique pour qu’on ne ressente aucun ennui dans cette implacable série d’incidents malchanceux, jusqu’à la catastrophe finale…

 

Les décors du film dans le film sont très colorés, de nouveau pour renforcer l’opposition entre réel et fiction.

Pour le reste, on a une bonne reconstitution urbaine, montrant les stigmates de l’économie de l’époque (situation difficile dans les années 1970, en raison de deux chocs pétroliers et de trois crises monétaires majeures).

 

Les costumes font dans la reconstitution sobre des années 70.

Les tenues dans le film virtuel sont plus sophistiquées, avec un côté film noir des années 20, style whodunit à la Agatha Christie.

 

Les SFX sont finalement plus nombreux qu’on l’attendrait dans un film sur un tel sujet.

Déjà il y a les araignées en synthèse, et même des corps entièrement emprisonnés dans leurs toiles.

Puis, il y a la combustion du fantôme en pleine réplique « enflammée » !

Et pour finir, l’incendie des plateaux est l’occasion d’effets physiques renforcés de discrètes images de synthèse.

 

Le casting fait la part belle aux femmes fortes, la jeune productrice étant même vraiment badass.

La nervosité ambiante d’un plateau de tournage est retranscrite par de nombreux cris et disputes, une hystérie qui peut lasser au bout d’un moment.

Song Kang-ho est l'un des acteurs incontournables de la nouvelle vague du cinéma sud-coréen, et également l’un des acteurs fétiches du réalisateur Bong Joon-Ho.

Song Kang-ho est réuni ici pour la cinquième fois avec le réalisateur Kim Jee-woon, c’est donc son alter-ego cinématographique, nous faisant comprendre que le réalisateur se livre à travers lui, il y a donc une part d’autobiographie sous couvert d’une fiction sur le cinéma.

Si l’on compare le jeu de Song Kang-ho à celui de Takayuki Hamatsu dans « Ne coupez pas » (au sujet si proche), on va le trouver plus terne, moins charismatique, on a plus de mal à comprendre ceux qui décident de croire en lui et de le soutenir.

 

La musique utilise un orchestre de chambre avec un violoncelle très présent, le résultat est assez pompier, et volontairement caricatural pour le film dans le film.

Quelques chansons des années 70 distillent leur atmosphère décomplexée et ringarde, en décalage avec les évènements narrés.

Notons la violence des bruitages, parfois exagérés.

 

En conclusion, la tourmente d’un tournage est bien représentée dans ce film, dont le « happy end » semble finalement excuser toutes les crapuleries exercées pour arriver à ses fins… une façon pour Kim Jee-woon d’avouer des fautes bien réelles dont le succès n’arriverait pas à effacer le remord ?

Peut-être, la scène du héros en plein confessionnal peut aussi nous le faire supposer…