DETOUR

 

UK / South Africa - 2016
Première européenne
avec Tye Sheridan, Emory Cohen, Bel Powley, Stephen Moyer
97’ - english st fr - 14 ans

L'Avis du NIFFF :

 

Le film
Harper, un jeune étudiant, est rongé par la colère qu’il nourrit à l’égard de son beau-père, ce dernier étant responsable d’un accident de la route qui a plongé sa mère dans le coma. Un soir, alors qu’il noie son chagrin dans un verre de whisky, il échafaude avec un redneck et une stripteaseuse un plan pour l’assassiner. Le lendemain, à peine remis de sa cuite, Harper n’a pas le temps de se souvenir de sa rencontre qu’il se retrouve embarqué dans une virée vengeresse, forcé d’assumer ses choix.
Après les vertigineuses boucles temporelles de Triangle (2009), Christopher Smith signe un nouveau tour de force narratif. Unique dans sa manière de confronter plusieurs destinées possibles, Detour nous entraîne dans une balade sinueuse où les temporalités s'opposent dans des split-screens fracassants. Magnifié par sa photographie léchée et porté par de jeunes acteurs éblouissants, le dernier film de Christopher Smith prouve encore une fois que l’Anglais est passé maître dans l'art des concepts.

Le réalisateur
Né à Bristol en 1970, Christopher Smith s’impose rapidement comme le nouveau maître du film de genre britannique. Du survival suburbain (Creep, 2004) à l’horreur bubonique du Moyen Âge (Black Death, prix du public au NIFFF 2010), en passant par la satire gore du monde professionnel (Severance, 2006), le réalisateur a démontré toute sa maîtrise et son éclectisme. Avec Detour, il explore les arcanes du thriller psychologique en déconstruisant les conséquences des actes de tout un chacun.

 

L'Avis du FEFFS :

Harper, étudiant en droit, rencontre dans un bar Johnny, une petite frappe. Ivre, il lui raconte son désir de venger sa mère qui serait tombée dans le coma à cause de son beau-père. Johnny peut l’aider, moyennant rétribution. Le lendemain, le malfrat sonne à la porte, accompagné de sa distante copine Cherry. Harper semble ne pas avoir d’autres issues que celle d’exécuter le plan initial… Ce thriller de Christopher Smith est porté par le jeune Tye Sheridan, déjà repéré chez Jeff Nicholls dans Mud. La récurrence du split-screen acère le récit, conférant au film une intensité nouvelle. Que croire, à qui se vouer? Ces deux films en un sont autant de détours pour le protagoniste que pour le spectateur, baladé entre plusieurs versions des faits.

 

Mon Humble Avis :
Christopher Smith tente un film concept (multiples narrations possibles à partir d'un point de départ), pour renouveler le genre.
Avec Triangle, il avait déjà démontré une certaine habileté au pari risqué, voyons si ce nouveau défi répond à ses promesses...

Le message est bien entendu sur les conséquences de nos choix, avec une regrettable insistance sur la prédétermination du destin, une morale finalement bien américaine, malgré le côté faussement provocateur du sujet.

La réalisation use d'effets discrets mais efficace, comme par exemple remplacer le champ contrechamp par le split screen pour insister sur la tentation au cours d'un échange verbal.
Ce dédoublement de l'image nous montre bien l'importance des choix et de leurs conséquences, dédoublant la trame narratives qui en découle.

 

Les cadrages usent d'une bonne variation de valeurs de plans avec une prédominance tout de même pour les plans américains et les plans larges.
Un très beau plan ou on voit l'action dans le viseur d'un caméscope ou dans son reflet sur la surface de la piscine nous montre bien que le réalisateur fait des choix signifiants, nous offrant ainsi un point de vue extérieur remplaçant l'identification au héros lorsqu'il dérape.
Des cadres obliques insistent sur ce dérapage.

La photographie use de nuit de lumières rouges agressives, et de jour de tons dorés mais avec des contrastes assez doux : l'ambiance qui s'en dégage renforce le danger encouru par le héros mais dans le trouble moral dû à son ébriété.
De même, les personnages sont souvent en contrejour pour renforcer leur égarement psychologique.

Le montage est parfois plutôt énergique, mélangeant même des extraits de vieux films noirs (ou de porno sur le web) pour dynamiser l'exposition initiale, et mettre en abîme la trame dans l'histoire du genre.
Le plus souvent le montage est tranquille, voire lent, insistant sur la torpeur des protagonistes principaux coincés dans leurs cercles vicieux respectifs.
C'est souvent aggravé par un abus de ralentis.
Le scénario avance finalement assez lentement mais une certaine tension demeure...

 

Les décors commencent en milieu scolaire, avant de visiter des bars louches puis de nous offrir les vastes espaces désertiques d'un road trip, avant de déboucher sur les néons artificiels de Las Vegas, symbole de vice et de corruption.
Notons l'impressionnante demeure luxueuse de la famille du héros, un luxe visiblement pas synonyme ni de bonheur ni de sécurité.

Les costumes sont réalistes, rien à signaler à part le tatouage original sur le cou du voyou.

Les sfx montrent juste un effet de fausse cicatrice récente, sur la joue du personnage féminin, et l'écrasement gores que d'un type par un camion (un effet numérique particulièrement Trash).

Le casting inclut un jeune héros ressemblant a un Tom Hardy jeune, il s'agit de l'acteur Tye Sheridan !
On y voit aussi de nombreuses stripteaseuses et autres prostituées affriolantes, et des Bad Guys menaçants assez crédibles, mention particulière au personnage de Emory Cohen, la racaille par qui tout arrive, à la fois dangereux et au franc parler, comme une version décomplexé des mauvais penchants du héros (on pense beaucoup à Fight club avec ce personnage).

 

La musique offre d'abord une chanson mélancolique à la Twin Peaks, puis se fait si discrète qu'on peine à la remarquer...
Plus le suspens monte, plus des sons graves et des rythmiques inquiétantes montent tout de même en puissance, mais les morceaux intéressants restent assez courts.
Parfois la BO devient progressivement des sons diététiques, lorsque les protagonistes croisent une rave party, gardant malgré tout une sonorité inquiétante.
Dans la dernière partie, à Vegas, la BO prend enfin toute son ampleur, sombre et tragique.

En conclusion, on est surpris au deux tiers du métrage de se rendre compte que le concept est moins original qu'on l'aurait cru de prime abord : ce qu'on croyait être deux possibilités avançant de front n'était en fait qu'un flashback en montage alterné !
Ce twist est surprenant mais décevant par rapport à l'originalité initiale, vers la fin on ne sait plus trop quel est l'enjeu réel du récit...
Sans spoiler la fin, disons que ce type de polar est assez galvaudé, et malheureusement ses ambitions artistiques et son écriture, sortant légèrement des sentiers battus, ne le sauvent pas complètement.
Le degré d'ennui sera inversement proportionnel à votre passion pour le genre, rien de mémorable, mais ce n'est pas raté pour autant puisqu'on ressent de l'empathie pour tous ces personnages pathétiques et tourmentés.