ESCAPE FROM NEW YORK
Réalisé par John Carpenter
USA / UK - 1981
avec Kurt Russell, Lee Van Cleef, Donald Pleasence
106’ - english st fr - 16 ans
L'Avis du NIFFF :
Dans un Manhattan transformé en pénitencier à ciel ouvert, le hors-la-loi Snake Plissken est embauché pour sauver le Président.
Cette collaboration dystopique entre Kurt Russell et Carpenter fait des étincelles.
Mon Humble Avis :
Ce film a été réalisé dans une période particulière du cinéma américain, c’était à la fois la fin des années 70 mais pas encore le début des années 80, alors qu’il avait été écrit quelques années
auparavant, en 74, en plein scandale du Watergate et refus de la guerre du Viet-Nam…
Dans le monde caricature du nôtre décrit par le film, l’anarchie est opposée au fascisme, et seul un individualiste nihiliste peut espérer survivre et finalement imposer sa loi : fuck the system
!
La réalisation de John Carpenter a la classe qui fait les films cultes : c’est une grammaire simple entièrement au service du récit, sans chichis formels pour l’esbroufe.
C’est donc filmé à ‘ancienne, de façon classique, comme dans un western.
Il y a une variété correcte de valeurs de plans, avec une prédominance des plans larges profitant des décors, et isolant les personnages dans les
ruines urbaines et les ombres nocturnes.
Lors d’un cadre, une image prophétise les attentats du 11 septembre, avec cet avion fonçant vers les tours jumelles du World Trade Center… sauf que c’était carrément Air Force One (l’avion
présidentiel), qu’il s’écrase au sol, et qu’il était détourné par un commando d’extrême gauche !
La photographie est quasiment achrome, avec de légères touches orange (signalisation policière, feux de bidons…), et insiste sur les ombres nocturnes, pour suggérer plus qu’elle ne montre (au
final le film semble avoir été réalisé avec un budget 10 fois supérieur).
Le montage est dégraissé à l’extrême, efficace tout en restant calme.
Chaque plan sert le récit, mais le rythme reste lent malgré tout, avec une légère tension durant l’action, mais sans montage frénétique pour autant.
Au début du film, une astuce de montage permet de faire une transition par un fondu au noir entre deux décors représentant le mur d’enceinte de la ville-prison (l’un en extérieur à son pied, avec
la jeep, l’autre en plateau à son sommet, avec les sentinelles).
Notons tout de même quelques faux raccords de montage sur des points de détails, comme par exemple la veste du secrétaire de la défense (tantôt ôté, tantôt mise) d’un plan sur l’autre…
Mais il est impossible de les discerner à la première vision, tant le film est immersif, c’est quand on le connaît par cœur qu’on le regarde uniquement sur le plan technique qu’ils nous
apparaissent !
Pour les décors, le côté futuriste des locaux de police est assuré par le dépouillement et le lettrage.
L’île de la statue de la Liberté est ironiquement transformée en symbole du fascisme avec le QG de la police.
A l’intérieur, c’est tout blanc avec encore des touches de orange.
Le bureau du responsable Bob Hauk est décoré old-school, avec de vieilles armes accrochées au mur évoquant la carrière dans le western italien de Lee Van Cleef.
On dirait parfois que de simples salles de classes d’une université ont été transformées en locaux scientifiques de la police… connaissant le système D de Carpenter (qui en avait déjà fait un
vaisseau spatial dans Dark Star), tout est possible !
Pour la prison, rien n’a été filmé à New York (à part un travelling général sur l’île de Manhattan filmé par la seconde équipe), tout a été fait à Saint Louis, où il fut plus facile d’obtenir les
autorisations nécessaires.
Un quartier entier a été bloqué pour cela, lampadaires éteints, sol jonché de détritus et de carcasses automobiles, le sol grouillant de rats… impensable à New York.
Mention particulière aux décors du théâtre transformé en arène, et surtout à celui de l’ancienne bibliothèque éclairé à la torche, une touche quasi médiévale bienvenue dans ce contexte
post-apocalyptique.
D’autres aspects préfigurent les Mad Max de George Miller, comme les caisses renforcées et ces barrages d’épaves de bagnoles.
Carpenter s’inspire du western rital pour construire son récit (et surtout ses personnages), mais en inventant les codes du futur genre post-apo que va surtout développer ensuite George Miller,
et les Mad Max seront à leur tour copiés dans des dizaines de bisseries italiennes, la boucle est bouclée !
Les costumes des policiers sont juste customisés de casques de soudeurs, les rendant impersonnels, vides de toute opinion propre.
C’est l’idée de Kurt Russel de porter un bandeau, pour faire de Snake un borgne en hommage à Kirk Douglas dans Vikings.
Du coup, Plissken se retrouve avec un super look devenu culte, une icône de la pop culture !
Les figurants portent des hardes, certains ont l’air de simples clodos ou de hell’s angels si naturels qu’on se demande s’ils sont réellement déguisés…
Notons la robe rouge sexy d’Adrienne Barbeau (alors la femme du réal), avec son corset décolleté si bien rempli !
Les SFX nous montrent les premières images de synthèses en fil de fer, pour représenter les radars.
Les scènes d’aviation sont réalisées en maquettes par contre.
Les deux seuls plans gore sont ceux de la mort de Brain puis de Maggie, le reste de la violence n’est absolument pas sanglant.
Kurt Russel sortait d’une série de téléfilms Disney et Carpenter a eu du mal à l’imposer comme héros d’un film d’action.
Il s’en sort magnifiquement, alliant un humour à froid avec une virilité évidente.
Kurt a tourné 5 films avec Carpenter, on pourrait croire qu’il s’agit de son acteur fétiche, mais en réalité Charles Cyphers en a tourné plus que lui, 6 en tout :
Assaut, Halloween, Meurtre au 43ième étage, Le roman d’Elvis, Fog, & Escape from New York.
Mais il s’agit surtout de petits rôles, comme ici avec le secrétaire d’état toujours opposé à Bob Hauk.
Néanmoins, c’est lui le véritable acteur-signature de Carpenter, et non Kurt !
Le casting aligne plein d’acteurs connus, car après les succès d’Assaut, d’Halloween, et de Fog, Carpenter avait le vent en poupe auprès des
producteurs.
On retrouve ainsi Lee Van Cleef excellent en vieux soldat expérimenté, vicieux et rusé, Ernest Borgnine en chauffeur de taxi jovial, que la misère ambiante ne semble
pas atteindre, il est superbe pour apporter une touche d’humanité supplémentaire au film, Harry Dean Stanton en petit malin de service, toujours prêt à changer de veste au besoin, impeccable
comme dans le reste de sa filmo…
Précisons qu’avec une économie de moyen impressionnante, Adrienne Barbeau réussit le challenge de créer un personnage émouvant auquel on croit et auquel on
s’attache, malgré ses maigres dialogues… l’exemple même d’une grande actrice (aux atouts physiques indéniables) que pourtant Hollywood aura boudé.
Le personnage du petit cinglé (nommé Romero !) qui sert d’âme damnée au Duke est toujours incroyable, après toutes ses années (et ses visionnages du film) la
prestation de Frank Doubleday est encore à couper le souffle de naturel et d’originalité.
Il ressemble à une version miniature de Klaus Kinski !
Notons que c’est encore lui qui jouait l’un des trois leaders de gang dans Assaut de Carpenter (celui qui tue la petite fille à bout portant).
La musique au synthétiseur de John Carpenter lui-même (et son complice de l’époque Alan Howarth) est devenue un classique, si bien qu’il commence
ses concerts aujourd’hui en la jouant !
Le « main title » est extraordinaire, on le garde en tête plusieurs jours ensuite…
Pour le reste, il y a certes parfois du « remplissage » dans les airs stressants aux sons stridents, mais il y a d’autres mélodies super cool, comme celle du Duke de New York par exemple.
La cassette audio du chauffeur de taxi avec sa ritournelle rétro ridicule a un rôle si essentiel dans l’histoire qu’elle est toujours montrée en gros plan à l’image lorsqu’on l’entend en sons
diégétiques.
Le film utilise aussi régulièrement des passages de silence pesants.
En conclusion, la vision de Carpenter des rapports de force dans la société est bien entendu toujours valable, sa solution du « chacun pour soi »
reste tout autant discutable, mais la noirceur de son propos est surtout toujours sublimée par un sens de l’humour incisif, qui sauve le film de la déprime, nous amenant à prendre la métaphore au
second degré : il incite son spectateur à ne pas sombrer dans la passivité, et à toujours conserver un esprit critique…
Un film intelligent, bien que distrayant, pour spectateur intelligent, qui prouve que série B et film d’auteur ne sont pas inconciliables.
Ce film culte n’a pas pris une ride !